Rencontre 3RDL : Biomimétisme, des innovations inspirées de la nature
6 novembre 2023
Au cours de l’histoire, les organismes vivants ont toujours su développer des stratégies et des mécanismes innovants pour s’adapter à leur écosystème et évoluer dans un environnement en perpétuelle transformation. Ces millions de stratégies biologiques, résultats d’essais et d’erreurs sélectionnés au travers le temps via la sélection naturelle, sont des sources d’inspiration précieuses pour faire évoluer nos sociétés vers un modèle plus durable.
Spécialiste du biomimétisme, Designer et Fondateur de l’agence Big Bang Project, Guillian Graves était l’invité de la dernière Rencontre du 3RDL organisée par Birdeo et Des Enjeux et des Hommes. Son approche du biomimétisme, située à la frontière entre le design et les sciences du vivant, permet de comprendre la nécessité pour les designers et les scientifiques de travailler en synergie pour proposer des innovations durables en s’inspirant des capacités remarquables des systèmes vivants
La rencontre du biomimétisme et du design
Le biomimétisme permet de s’inspirer de toutes les espèces du vivant, connues aujourd’hui ou ayant existé par le passé. Aujourd’hui, on compte 2 millions d’espèces connues et décrites par la science, parmi les 10 à 20 millions d’espèces qui existeraient sur Terre. Les scientifiques et designers s’inspirent régulièrement des caractéristiques de ces 2 millions d’espèces pour innover dans différents secteurs, tout en respectant des objectifs de durabilité.
« Le biomimétisme c’est s’inspirer du vivant de l’échelle nano à l’échelle macro en passant par l’échelle écosystémique. », explique Guillian Graves.
La nature est source d’inspiration au niveau de sa structure, du fonctionnement de organes, du comportement de certains organismes, des interactions intra- ou interspécifiques au sein d’un écosystème, voire plus largement au sein de la biosphère. Cette approche multi-scalaire permet d’imaginer de nouveaux matériaux, produits et services, mais également de nouvelles façons de penser l’habitat, l’aménagement des villes et les formes d’organisation.
Ainsi, la coopération des scientifiques et des designers rend possible la conception de solutions pour l’ensemble des secteurs du bâtiment à l’alimentation, en passant par l’aérospatial et la cosmétique.
Biomimétisme vs biomimétique
« Le biomimétisme consiste à innover par, pour et avec le vivant. » – Guillian Graves
Dans le cadre d’une démarche d’éco-conception, les principes qui constituent le vivant (utiliser des ressources locales, travailler dans des conditions de température ambiante, travailler par ajout de matières…) deviennent dans certains cas des principes de conception pour les designers.
Le vivant et ses caractéristiques sont au cœur de la méthodologie d’un projet d’innovation durable, qui vise ainsi à réconcilier les activités humaines et l’environnement dans lequel celles-ci s’inscrivent.
Si la biomimétique (biomimetics en anglais) consiste également à s’inspirer du vivant pour concevoir des innovations, contrairement au biomimétisme, cette démarche ne prend pas en compte les impacts du produit et ne s’inscrit pas dans une démarche durable.
4 critères pour évaluer un projet bio-inspiré
Pour penser et produire un projet bio-inspiré, les professionnel.les doivent prendre en compte plusieurs critères :
- Les impacts socio-environnementaux : pour projeter l’impact sur l’environnement et la société de la solution imaginée, grâce à un ensemble d’outils d’évaluation.
- La maturité technologique : Critère déterminant pour pouvoir reproduire ou s’inspirer de certaines caractéristiques biologiques. En effet, l’existence d’un matériau ou d’une technologie peut conditionner le processus d’innovation et la concrétisation d’une idée.
- Le coût : Certaines solutions pourraient rendre de nombreux services, mais le coût très élevé de certaines technologies ou de certains matériaux peut être prohibitif et rend parfois impossible la production de ces innovations bio-inspirées. Le prix serait si élevé, qu’il n’y aurait tout simplement pas de marché pour la solution.
- L’usage : Sans doute le critère le plus important dans la réflexion du designer. Pour qu’une invention devienne une innovation, il est important que le produit présente une forte valeur ajoutée en termes d’usage.
Cette intervention et ces nombreux exemples nous ont prouvé que le biomimétisme permet de proposer un nouveau modèle d’innovation et de production durable. Le vivant pourrait bien détenir les réponses aux défis écologiques auxquels nos sociétés font et feront face.
Exemples d’innovations bio-inspirées
Guillian Graves a travaillé avec l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et l’équipe du professeur Michael Graëtzel, qui cherchaient des alternatives à la production de panneaux photovoltaïques pour produire de l’énergie. Ils se sont inspirés des plantes et du processus de photosynthèse pour créer cellules bio-inspirées qui fonctionneraient de la même manière.
Cette innovation, plus respectueuse de l’environnement, plus facile à produire et à recycler, se présente sous forme d’encre à colorants, imprimable en sérigraphie grâce au procédé de roll-to-roll. L’objectif était de capter tout type de lumière, naturelle et artificielle. Pour utiliser cette nouvelle génération de cellules solaires bio-inspirées souples à un objet du quotidien, les équipes ont créé Horn (2009), un prototype d’enceinte sans-fil.
Guillian Graves et le bio-ingénieur Michka Mélo ont créé Nautile en 2012. L’objectif de ce prototype était de réinventer la bouilloire électrique en diminuant son impact environnemental, concentré à 80% lors de la phase d’usage.
Grâce à une analyse de la phase d’usage, quatre problématiques ont été décelées : optimiser la chauffe, contrôler le volume d’eau, contrôler la température et l’isolation. Les deux experts ont ensuite exploré des bases de données en se basant sur une taxonomie biomimétique, pour trouver la centaine d’organismes vivants qui présentaient les stratégies biologiques répondant à ces problématiques.
Les quatre inspirations biologiques les plus pertinentes ont été utilisées pour créer cet objet et travailler sur différents objectifs : optimiser l’énergie consommée pour chauffer l’eau en s’inspirant d’une termitière, optimiser le volume d’eau grâce à la structure du nautile, garantir l’isolation par l’extérieur et préserver la température grâce au bec du toucan et aux poils de l’ours blanc.
Qui est Guillian Graves ?
Diplômé de l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle en partenariat avec l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), Guillian Graves est designer. Il dirige Big Bang Project, une agence qui fait collaborer designers, ingénieurs et scientifiques pour faire émerger des solutions innovantes et bio-inspirées adaptées aux modes de vie de demain. Par ailleurs, il est enseignant et responsable du Master of science Nature-Inspired Design à l’ENSCI-Les Ateliers créé il y a 4 ans, enseignant à Sciences Po Paris et à l’Ecole de design Nantes Atlantique, ainsi que collaborateur du Centre de Recherche en Design.
L’approche de Guillian Graves et Big Bang Project repose sur trois piliers : la recherche, l’innovation et l’éducation. La recherche est indispensable aux designers pour développer de nouvelles méthodologies et de nouveaux outils d’innovation se basant sur les systèmes vivants comme source d’inspiration. Ils permettent la production comme l’accès à de connaissances dans les champs des sciences du Vivant, qui est le fuel du designer biomiméticien, son inspiration.