
Incertitudes sur l’avenir de la CSRD : les bonnes questions à se poser par les décideurs
27 février 2025
Comment faire de la durabilité un levier positif pour son entreprise et son écosystème tout en faisant évoluer son modèle d’affaires ? Nos consultants seniors vous partagent leur retour d’expérience récolté au contact des dirigeants que nous accompagnons, ou avec qui nous sommes en dialogue pour initier un projet de stratégie de durabilité.
CSRD et résilience des entreprises françaises : des arbitrages complexes pour le dirigeant
- Le dirigeant fait face à des injonctions contradictoires : la volonté de mettre en œuvre un modèle durable, tout en préservant les emplois, en sécurisant ses approvisionnements, en assurant la satisfaction de ses clients, en conservant un prix accessible (équation économique) et en répondant aux demandes de ses donneurs d’ordres et partenaires financiers. C’est une équation complexe et qui se travaille dans le temps !
- Les incertitudes du contexte règlementaire ne font que renforcer ce grand écart, du moins en surface. En réalité, les enjeux de durabilité servent la résilience du modèle d’affaires. Ils permettent au dirigeant de faire des arbitrages et d’assoir les partis pris auxquels il croit pour son entreprise. Quelles que soient les perspectives d’évolution de la CSRD, il y a surtout de nombreux risques à détourner le regard et à ne pas faire(que ce soit par conviction ou par pragmatisme pour faire face à la concurrence et assoir la pérennité de son entreprise).
L’urgence est de… revenir à une approche plus pragmatique et raisonnée tout en restant ambitieux. Comment ? En revenant à la vraie question : comment faire de la durabilité un levier positif pour son entreprise et son écosystème tout en faisant évoluer son modèle d’affaires ?
Nos consultants seniors vous partagent leur retour d’expérience récolté au contact des dirigeants que nous accompagnons, ou avec qui nous sommes en dialogue pour initier un projet de stratégie de durabilité.
Conseil n°1 : En tant que dirigeant, dois-je me lancer dans la CSRD ?
En réalité, le vrai critère pour le dirigeant n’est pas l’éligibilité à la loi CSRD, mais bien l’exposition de son entreprise à des enjeux de durabilité qui ont des incidences sur son écosystème et sur ses activités et sa rentabilité.
Les dirigeants ont toujours fait face à des inconnues. Les enjeux de durabilité ne font que multiplier le nombre d’inconnues et complexifier les scénarios possibles. Il n’en reste pas moins que la finalité est la même. C’est la vision des dirigeants et leur conviction qui vont orienter l’entreprise et permettre la mise en œuvre d’actions.
Aujourd’hui, de nombreuses études montrent la fragilité de nos modèles d’affaires : la complexité d’assurer le maintien de certaines activités, la dépendance du chiffre d’affaires à la biodiversité, la fragilité ou les risques des chaînes d’approvisionnement, l’impact des ressources et de leur coût sur l’équation économique (du transformateur, du point de vente, du restaurant, du franchisé …), les attentes croissantes des investisseurs sur les preuves de l’intégration de la durabilité pour obtenir des financements….
Une stratégie de durabilité robuste fondée sur une approche pragmatique de la double matérialité permet de “dérisquer” votre activité (et ce sur l’ensemble de la chaîne) et de créer de la valeur.
Elle va induire des décisions à court, mais aussi à moyen/ long terme qui vous donneront les moyens (temps et ressources) d’ajuster votre performance globale et de sécuriser votre business.
Les questions de durabilité ne doivent pas être décorrélées des défis métiers de l’entreprise mais être au service de ses activités.
En réalité… la CSRD n’est qu’une approche. Nous accompagnons les entreprises depuis 20 ans et avons vu naitre diverses approches. C’est un fil conducteur, mais pas une fin en soi. Il faut donc maintenir les ‘’pépites’’ de la CSRD et ajuster les quelques excès pour assurer que les entreprises s’engagent vraiment et avec bonne volonté parce qu’elles y verront leur intérêt stratégique.
Conseil n°2 : Quel calendrier est-il approprié de se fixer pour la CSRD et sa démarche de durabilité ?
La question du timing est une question clé dans tout arbitrage de dirigeant (essuyer les plâtres en partant trop tôt, faire partie des pionniers, être dans la masse, pouvoir copier ou s’inspirer des leaders, rétropédaler pour rattraper le peloton…).
Là encore, ce n’est pas la date d’entrée dans la CSRD qui devrait compter, mais le point d’arrivée : l’ambition de pouvoir piloter le financier et le durable au même niveau à l’horizon 2028. Il y a donc un chemin critique à construire qui passera forcément par 4 étapes :
- Identifier les vrais enjeux (dits matériels) : c’est à dire ceux qui sont critiques et significatifs pour votre entreprise, et ce sous 2 prismes différents (les enjeux qui sont liés à un impact sur l’Environnement et la Société et ceux qui ont des incidences sur les équilibres financiers de votre entreprise – positifs ou négatifs).
- Se positionner et se fixer des ambitions : la priorisation des actions de durabilité s’inscrit dans la même logique que la priorisation de l’ensemble des actions de l’entreprise. Ces actions ne doivent ni être décorrélées du business, ni systématiquement dépriorisées. Elles doivent au contraire servir le positionnement de l’entreprise sur le marché. La priorisation demande un certain courage et une vraie méthode d’arbitrage car les enjeux de durabilité touchent de nombreux sujets et les interlocuteurs sont multiples. C’est cette prise de position qui permettra à l’entreprise d’être différenciante et résiliente.
- S’organiser (gouvernance) et définir un plan d’action avec des ressources (humaines, de temps, financières) pour changer sa performance / ses impacts : il n’y a rien de plus démotivant pour la direction, les équipes et les partenaires d’une entreprise que d’afficher une stratégie qui n’est pas suivie d’effets. Il est donc essentiel d’allouer les ressources nécessaires et de conduire le changementpour que ce qui est porté et communiqué par l’entreprise se matérialise.
- Piloter la performance en interne et la partager avec les Parties Prenantes intéressées (clients, investisseurs, mais aussi ONG par exemple sur des sujets d’impacts) : à l’instar du financier, c’est le suivi et la réalisation des objectifs qui va permettre à l’entreprise de valoriser ses actions, de créer de la confiance sur le marché et avec ses partenaires, tout en intégrant les enjeux de durabilité dans son modèle d’affaires.
Il est vital de bien comprendre que nous devons inscrire la démarche de durabilité dans le temps et que ce ne soit pas le reporting qui oriente les décisions stratégiques mais bien l’inverse !
La force de la CSRD est qu’elle pointe les fragilités stratégiques de l’entreprise et les leviers de création de valeur durable. C’est un outil qui donne toutes les clés de lecture aux dirigeants pour articuler les enjeux de durabilité avec ses activités et ses métiers ! Que le calendrier s’applique à votre entreprise à plus ou moins long terme, c’est un socle robuste pour la stratégie de l’entreprise.
Conseil n°3 : Comment dois-je fixer le niveau ambition de reporting ? Ai-je besoin d’un outil CSRD ?
Le dirigeant peut s’appuyer sur deux expertises internes – RSE et financière – pour guider ses choix et aider à repartir l’effort collectif. La méthode CSRD permet l’objectivisation des constats, l’intégration à la cartographie globale des risques, la mise en perspective avec les orientations business. Cela donne aux dirigeants toutes les cartes en main pour ‘’mettre le poids du corps’’ là où c’est important.
L’entreprise peut être éclairée ou appuyée par des partenaires externes (cabinets conseil ou bureau d’études en amont, auditeurs et certificateurs en aval). Mais quel que soit le chemin, ce qui compte c’est l’intégration de la durabilité dans les objectifs stratégiques et leur portage par les différents métiers de l’entreprise via des actions. La mise en œuvre doit pouvoir être adaptée et singulière pour respecter la maturité de l’entreprise et celle de son écosystème de parties prenantes.
La mise en conformité du reporting ESG doit être réalisée en parallèle de cette mise en action et en plusieurs étapes, atteignables et réalistes. C’est comme un marathon : cela s’inscrit dans la durée et les étapes de préparation sont clés. L’objectif n’est pas de démarrer trop vite au risque de perdre ses forces vives, mais d’atteindre la ligne d’arrivée en ayant vraiment fait évoluer ses pratiques et son modèle pour avoir un meilleur impact !
Le piège serait de détourner les ressources à allouer aux actions en les centrant trop sur le monitoring et le reporting, et en oubliant de prendre le temps de vraies prises de décisions et orientations stratégiques. Les indicateurs peuvent guider les choix, mais ce sont les partis pris des dirigeants qui doivent se matérialiser par des actions à piloter via des indicateurs. La CSRD propose une liste d’indicateurs pertinents et facilitant la comparabilité. Si on fait la part des choses et qu’on ne tombe pas dans la ‘’Data-points anxiety’’, c’est plutôt une bonne nouvelle !
Il faut donc raison garder sur la manière de doser le poids donné au reporting, prendre le recul et le temps nécessaires pour faire les bons arbitrages, et ainsi s’inscrire dans une vraie démarche de progrès qui idéalement sera aussi différenciante.
Le recours à un outil de reporting est une bonne solution pour centraliser l’information et permettre un suivi de la performance à moyen terme. Il peut être anticipé pour ‘’faire bien du 1er coup’’ et pouvoir avoir une traçabilité des choix et des résultats dans le temps.
Le choix des outils est multiple, en termes de fonctionnalités ou de prix. Avant de faire son choix, il est important d’impliquer les métiers clés concernés (Finance, RSE, DSI, RH) pour faire le point sur l’existant et questionner ‘’l’interopérabilité’’ avec les outils déjà en place (DIRH par exemple). Des benchmarks sont disponibles pour faire un choix éclairé en fonction de votre cahier des charges (celui du MEDEF ou celui que nous mettons à jour depuis début 2024).
Dans tous les cas, il vous faudra identifier et animer des réseaux internes par thématique ESG et faire monter en compétence les collaborateurs qui vont porter les actions et en piloter les KPIs (Key Performance Indicators). Cela se matérialisera par la formation des métiers clés et l’accompagnement au changement.
Conseil n°4 : Comment articuler de manière optimale les étapes de construction de ma stratégie de durabilité ?
Encore une fois, cela dépend du secteur et de votre exposition aux risques.
Si votre entreprise est directement dépendante d’un sourcing de matières premières qui se tendent ou avec des impacts criantssur le climat par exemple, il est vital de ne pas différer le travail stratégique (on peut citer spontanément les secteurs tels que l’alimentaire et la production carnée par exemple, le textile, les cosmétiques, les industries transformatives, les énergies fossiles et renouvelables, les transports…).
Dans le cas où votre entreprise est apporteuse de solutions face de ces enjeux, la CSRD est moins une contrainte qu’une opportunité de vous rendre visible et de vous différencier (secteurs de l’économie circulaire par exemple).
Vous devez identifier un 1er socle d’enjeux matériels critiques et agir à court terme (6 à 24 mois) pour modifier votre performance globale et votre impact.Ce qui veut dire être exigeant sur ce 1er socle d’enjeux critiques et dédier de vraies ressources à la réponse et aux solutions à déployer. Vous pouvez décider avec votre Direction et en accord avec vos partenaires et OTI (Organisme Tiers Indépendant) de traiter les autres enjeux dans un second temps (à 3 / 5 ans). Et une fois ce cadre posé, concentrer vos efforts sur le suivi de la performance de ces enjeux en priorité.
Il n’est, selon nous, pas pertinent de repasser par une analyse de matérialité avant au moins 2 à 3 ans (en dehors des ajustements qui sont à faire en cas d’évènement majeur ayant des incidences sur les impacts, risques ou opportunités). Vous pouvez dans les 24 à 36 mois qui suivent votre étude de Double matérialité vous centrer sur les actions de terrain et sur la mesure et la mise à jour de votre maitrise des enjeux. Pour ce faire, il est important de piloter les actions et de mesurer vos progrès pour vérifier que vous allez dans la bonne direction.
Il est très pertinent de valider vos choix d’enjeux prioritaires et de discuter des actions à mener avec vos parties prenantes. Ainsi on passera d’une démarche de conformité à une démarche stratégique et hautement compatible avec votre business, à quasiment iso coût versus une démarche de pure conformité et en ayant mobilisé vos équipes pour une valeur ajoutée bien plus forte, y compris leur motivation.
En matière de reporting : il est important d’identifier clairement et officialiser un 1er socle de thématiques à traiter et à piloter (liés aux fameux ‘’enjeux critiques’’).
Au final, si on repart de ces quelques principes de bon sens, on revient à un vrai questionnement … essentiel pour les dirigeants … et qui fait partie de leur responsabilité de pilotes à long terme de leur organisation :
- On identifie et on traite les vrais sujets et dans le bon ordre.
- On mobilise les équipes qui verront que c’est du concret et auront de premiers résultats encourageants.
- On répartit son effortet on donne à chaque métier sa partition dans un effort collectif.
- On utilise le chiffre et les indicateurs d’abord pour piloter avant de reporter.