Qu’est-ce qu’un modèle d’affaire durable? Le nouveau défi de la RSE
26 février 2019
Le 21 février, le 3 rue du Louvre a eu le plaisir d’organiser une conférence-débat sur les nouveaux « modèles d’affaire durables », portée par Agnès Rambaud (Des Enjeux & Des Hommes), Patrick D’Humières (Académie Durable Internationale), Arnaud Herrmann (Accord Hôtels), Rodolphe Durand (HEC), Pierre-Yves Sanchis (Comeen / e.RSE) et Caroline Renoux (Birdeo).
Selon Pierre Yves Sanchis, la RSE, qui s’installe dans le paysage économique depuis une vingtaine d’années, est aujourd’hui challengée sur sa capacité à faire évoluer le modèle d’affaire des entreprises. Elle est trop souvent considérée comme périphérique aux décisions stratégiques. Les stratégies de RSE sont trop souvent juxtaposées aux stratégies business. Comment la RSE peut-elle se réinventer, à l’heure où l’urgence climatique et l’attente sociétale n’ont jamais été aussi importantes ?
QU’EST-CE QU’UN MODELE D’AFFAIRE DURABLE ?
Selon Patrick d’Humières, il convient de revoir le modèle de création de valeur. En effet, l’économie mondiale n’est pas plus responsable, aujourd’hui, qu’elle ne l’était il y a 20 ans, alors que les entreprises ont fourni des efforts pour déployer des solutions durables. La RSE en tant que système autorégulateur, a échoué. C’est un concept en fin de cycle, qui se retrouve de plus en plus questionné sur sa capacité à œuvrer pour un monde meilleur.
La RSE doit aujourd’hui devenir une affaire de gouvernance, non plus de management. Au niveau mondial, les Objectifs de Développement Durable sont devenus le cadre de référence. Ils donnent une direction à suivre basée sur des faits scientifiques, afin notamment de respecter l’Accord de Paris et de limiter le réchauffement climatique à 2°C à horizon 2050. Le défi pour les entreprises n’est donc pas de savoir où aller, mais comment y aller.
Il est possible de regrouper les ODD autour de 4 grands axes stratégiques modèle LEAD :
- Loyauté (respect des régulations)
- Equité (conditions de travail justes)
- Accessibilité (offre de produits/services responsables)
- Découplage (dissociation entre croissance et impacts négatifs (ex : GES, déchets…)
Ces axes, transposés au modèle d’affaire d’une entreprise, peuvent lui permettre de se mouvoir vers une durabilité véritable. Il est important qu’une organisation fasse des efforts équivalents dans chacune des 4 catégories, tout en ayant identifié l’ODD principal inhérent à son activité. Pour chacun des 4 axes identifiés, des indicateurs concrets permettent de mesurer l’impact d’une organisation.
Trajectoire à suivre par les entreprises, selon le modèle LEAD
Une définition du « modèle durable » pourrait donc être la suivante : un modèle de création de valeur vis-à-vis de l’ODD principalement identifié, dans le respect d’un équilibre entre les 4 composantes de la durabilité (LEAD).
Ainsi, si le monde des entreprises prépare une révolution, celle-ci ne sera non pas technologique, mais systémique. En effet c’est le système de gouvernance en entier qu’il est nécessaire de revoir.
COMMENT APPLIQUER CE MODELE DANS LA PRATIQUE ?
Arnaud Herrmann, Directeur du Développement Durable chez Accor, a présenté sa vision de la mise en œuvre d’un modèle d’affaire qui tend vers la durabilité.
L’application se fait à travers :
- La « mise à plat » du business modèle de l’entreprise et de ses leviers de création de valeur
- L’identification des acteurs (directions de service) impliqués à chaque étape (exemple « fidélisation clients » ou « maîtrise des coûts » pilotée par la direction achats)
- L’identification des contributions possibles de la RSE à chaque étape (ce qui a permis à Accor d’identifier une dizaine de mesures)
Arnaud Herrmann recommande d’arrêter d’opposer RSE et ROI (retour sur investissement) car tendre vers un modèle durable est un moyen de créer de la valeur. C’est en utilisant ce vocabulaire auquel les décideurs (Comité Exécutif et Conseil d’Administration) tendent l’oreille que les référents RSE arriveront à faire bouger les lignes.
Il évoque aussi la nécessité d’activer les différents leviers (Gouvernance, Marketing, Marques du groupe, Management…) en cohérence, simultanément et harmonieusement.
Rodolphe Durand, Professeur à HEC et fondateur du Society and Organizations Center, étaye ces propos. Des études factuelles existent aujourd’hui. Elles permettent de démontrer la contribution de la RSE à la rentabilité, à la différenciation et à la création de valeurs immatérielles.
Il invite les professionnels de la RSE à consacrer une partie de leur temps à l’enseignement pour porter ces messages dans les écoles de management.
Pour Caroline Renoux les directeurs développement durable ont un rôle à jouer. En effet ils possèdent des compétences spécifiques : une vision transverse de l’entreprise, une capacité à identifier et dialoguer avec les parties prenantes et identifier les signaux faibles, une aptitude à jongler avec le court, le moyen et le long terme. Et surtout ils savent faire preuve de courage et de ténacité. Deux qualités indispensables pour mener à bien la transition. Ils doivent encore renforcer leurs compétences en finance pour interfacer les dirigeants.. Ces atouts leurs permettent d’ailleurs de développer leur employabilité et de pouvoir accéder à des responsabilités de directions générales.
LA PRESSION SUR LE CHANGEMENT DE MODELE VIENDRA T-ELLE DE L’EXTERIEUR ?
Les intervenants conviennent de la difficulté à identifier les acteurs qui engageront les entreprises à se tourner vers un modèle durable. L’Etat a montré les limites qu’il avait à légiférer sur ces sujets. La société civile a du mal à se structurer. La demande client (B to B) est de l’ordre du signal faible dans de nombreux secteurs. Les consom’acteurs sont encore marginaux. Les Millenials ont encore trop peu de pouvoir d’achat pour impacter les tendances des marchés. Finalement, c’est certainement des investisseurs que pourrait venir le changement. Les coûts potentiels des désastres environnementaux et de l’instabilité sociale sont des facteurs de risques qu’ils prennent dorénavant en compte dans une vision à long terme.
ET POURQUOI PAS PLUTÔT L’INTERNE ?
Agnès Rambaud évoque les leviers internes de changement, notamment la demande croissante des salariés ( cf le baromètre Des Enjeux et des Hommes/Ekodev/Occurrence). Mais cette transformation nécessite un changement profond des modes d’organisation (plus transversale, plus responsabilisante) et de management. Si de nombreux travaux ont été engagés pour faire évoluer la gouvernance des entreprises ( cf étude E&H/Orse sur RSE & gouvernance) et les fonctions (achats, marketing, communication..) au nom de la durabilité, trop peu d’initiatives portent sur le management responsable.. c’est un sujet pour les écoles de management.. cela en est un aussi pour les Direction RSE à enclencher avec les DRH et Universités d’entreprise.
CONCLUSION
La finalité n’est plus de définir une stratégie RSE, mais de réussir à atteindre un modèle durable tout en continuant à opérer. A cet effet, les entreprises disposent d’un cadre structuré (ODD) afin de jouer leur rôle dans le respect des objectifs fixés lors de l’Accord de Paris. Pour réinventer un modèle durable, une transformation de leurs offres, leurs impacts et leurs pratiques est nécessaire. Cela de manière simultanée et coordonnée, en actionnant tous les leviers à leurs dispositions.
Pour aller plus loin, une formation de type Masterclass 21 sur le thème « Piloter le modèle durable de l’entreprise » est disponible ici. Composée de 12 séances de 5 heures étalées sur 8 mois, co-onstruite par Centrale Supélec Exed, l’Académie Durable Internationale et Des Enjeux et des Hommes ce cursus aborde en détails les différentes thématiques en lien avec la durabilité.